Cela fait longtemps que les films d’horreur vous font doucement rire… Vous êtes habitué à la vue du sang puisque l’hémoglobine coule sur vos écrans à longueur de journée et a envahi nos jeux vidéo et même nos bandes dessinées. Le sanguinolent ne fait plus recette, on en a trop abusé jusqu’à le rendre ridicule. Quant à la réalité, vous la trouvez peut-être de jour en jour plus effrayante que la fiction. Alors de là à angoisser en lisant un manga, ce n’est pas demain que cela vous arrivera !
Mais, si à la lecture de ce qui va suivre, un souffle froid vous parcourt le dos, inutile de vérifier la fenêtre, elle est sûrement bien verrouillée…
Sueurs froides, gorge serrée, crise de panique… sans aller jusqu’à ces phénomènes forts de l’angoisse, la lecture de certaines œuvres peut néanmoins faire naître chez le lecteur un sentiment de malaise. L’apparition d’une telle émotion n’est pas chose facile et nécessite tout le talent de l’auteur. La création d’atmosphères oppressantes reste un art difficile à maîtriser.
Pour vous en convaincre, suivez-moi dans la présentation rapide de plusieurs titres d’angoisse et d’épouvante disponibles sur le marché français, et souvent moins bien connus que le reste de la production.
Vous allez voir que derrière les œuvres de ce genre se cachent des mangaka de grand talent.
L’auteur a le choix de ses outils. Pour effrayer et mettre mal à l’aise le lecteur, il dispose de deux solutions : construire son œuvre sur une ambiance angoissante psychologique ou utiliser la violence et le gore . Bien sûr, les travaux sachant allier les deux sont les plus intéressants. En effet, l’utilisation de la psychose seule, bien que pouvant donner de véritables petits chefs-d’œuvre (Ring, Dark Water…), débouche bien trop souvent sur des histoires ennuyeuses, tandis que le gore à lui seul peut faire tomber une œuvre morbide dans le ridicule le plus total.
Afin de mieux vous présenter les œuvres qui vont suivre, j’ai délibérément choisi de les scinder en deux groupes distincts : le style angoissant et le style sanglant.
La Dame de la Chambre Close Alors qu’Hiroshi tente de s’endormir un boucan inhabituel à cette heure de la nuit le dérange. En passant la tête par la porte de son appartement, il aperçoit une femme à l’allure étrange qui tambourine de toutes ces forces à la porte voisine. Elle semble très remontée vis-à-vis du voisin !
Sûrement une peine de cœur. Hiroshi semble tout de même surpris que le garçon vivant dans l’appartement mitoyen puisse avoir été intéressé par une femme à l’allure aussi pitoyable.
Enfin, ce ne sont pas les affaires d’Hiroshi qui retourne se coucher. Cet événement aurait pu être sans importance si, le lendemain soir, la mystérieuse femme n’était pas revenue et ne s’évertuait pas à frapper à la porte comme une malade.
Le garçon décide d’aller la voir pour mettre fin à ce tapage. Sans le savoir, le jeune garçon va commettre un acte regrettable : en lui adressant la parole, il attire l’attention de l’étrange femme qui va maintenant jeter son dévolu sur lui. Coups de téléphone incessants, filature, squat de l’appartement, menaces envers les filles qui l’approche, elle ira même jusqu’à créer un double des clés de l’appartement. Afin de sortir de ce cauchemar, Hiroshi décide, avec l’aide de son ami Satake, de mener l’enquête sur cette étrange femme…
One-shot de Mochizuki Minetaro (Dragon Head), ce manga, tout en usant du thème de la femme fantomatique, arrive à transmettre au lecteur le sentiment d’oppression qu’éprouve Hiroshi, un peu à l’image de Nathalie Nothomb et son fantastique roman Les Catilinaires. Le dessin sert bien le scénario avec un design clair et adulte. Mais le plus remarquable reste sans doute le découpage qui crée un sentiment de malaise, de névrose, lors de la mise en scène de la mystérieuse femme, ainsi qu’une impression d’incompréhension, de frayeur pour le pauvre Hiroshi..
Vraiment un must du genre !
MWYuuki Michio ressemble à un salary-man ordinaire. Pourtant, lui et le père Garai sont unis par un drame terrifiant. Il y a plus de 20 ans, après le Seconde Guerre Mondiale, l’armée américaine a entreposé sur une petite île japonaise une arme chimique des plus effroyables : le gaz MW. Lors d’un incident, une grande quantité de ce gaz hautement toxique fut rejetée à l’atmosphère et entraîna la mort, dans d’affreuses souffrances, de la totalité de la population insulaire. L’armée américaine, avec l’aide du gouvernement japonais, s’empressa de cacher l’affaire au public. Mais deux survivants purent s’échapper : Yuuki, alors jeune enfant, et Garai un petit voyou. Cet événement allait changer leurs vies. En effet, Yuuki, atteint par l’affreux poison, vit avec une maladie du cerveau et Garai, après avoir vu la mort de si près, rentre dans les ordres.
Seulement voilà : la maladie du jeune Michio, en plus de lui donner de violentes migraines, semble avoir fait disparaître chez lui la notion de conscience. Dans le but de se venger de ceux qui ont provoqué une telle tragédie, il élabore un plan des plus machiavéliques, ne reculant devant rien pour atteindre son but. Quant à Garai, déchiré par sa foi chrétienne et l’amour qu’il éprouve pour Yuuki avec qui il entretient une relation homosexuelle, il ne sait plus à quel saint se vouer. Le prêtre, après avoir couvert les méfaits les plus vils de son jeune amant décide de mettre un terme à ses mauvaises actions.
Mais y arrivera-t-il ?
L’immense talent d’Osamu Tezuka (Tetsuwan Atom, Black Jack…) s’exprime dans les trois tomes de MW. Angoissante à souhait, cette œuvre retranscrit en images les intentions et les actes les plus sombres de l’humanité.
L’absence totale de conscience de Yuuki en fait l’un des personnages les plus malfaisants de l’histoire du manga (faisant passer Johann de Monster pour un ange). Mais le plus effrayant reste la réalité et la justesse du scénario qui rend l’histoire encore plus inquiétante…
Pourquoi se faire peur avec des histoires de monstres, alors que l’Homme suffit bien à lui-même…
Le CratèreIl s’agit là d’une autre œuvre de Tezuka parue pour la première fois au japon en 1969.
Recueil d’histoires fantastiques et angoissantes, après MW, le cratère achève de nous démontrer que le «Dieu du manga» maîtrise décidément tous les styles. De nombreuses histoires de Tezuka se classent d’ailleurs dans le genre horrifique et épouvante (I.L., Dororo, Neo Faust, Métamorphose…) et le Cratère représente un condensé de son habilité à dompter ce genre. Chaque histoire a évidemment sa chute, et comme toujours, l’auteur ne fait aucun cadeau à ses personnages, ni au lecteur. Les concessions n’existent pas chez Tezuka, ce qui rend ses histoires encore plus dures et plus touchantes que les autres. Impossible de trouver la rédemption dans Le Cratère, les pêchés et les erreurs du passé finissent toujours par se payer comptant. Bien plus profond qu’un simple Contes de la Crypte, il s’agit là d’un manga qui, non content de donner au lecteur les frissons qu’il recherche, l’amène vraiment à la réflexion.
Tomié Le destin tragique de Tomié, jeune fille un peu trop intéressée par la gent masculine, va donner naissance à une légende urbaine des plus horrifiantes. Poussée d’une falaise accidentellement par un de ces amants lors d’une sortie scolaire, elle sera découpée et dispersée aux quatre coins de la région par les différents élèves de sa classe, tous atterrés par son comportement avec les hommes et ainsi tous complices de son meurtre. Mais cet acte innommable ne restera pas impuni car la jeune femme reviendra hanter ses anciens compagnons, leur apportant le malheur et, finalement, la mort. C’est donc sous l’aspect d’une créature magnifique, qu’elle renaît afin de poursuivre sa conquête des hommes. N’aimant qu’elle-même, son égoïsme et sa vanité vont l’entraîner dans un cycle sans fin de mort et de résurrection…
Tomié présente le mythe de la femme fatale sous son aspect le plus horrible. Utilisant les pires aspects et vices de l’âme humaine, elle emporte dans la mort rivales et amants. En dehors des situations plus abominables les unes que les autres, Tomié effraie par son double aspect. Magnifique une fois régénérée, ses multiples renaissances montrent son véritable aspect : celui d’un monstre hideux. Le génie de cette première œuvre de Junji Itô (Spirale, que j’ai d’ailleurs déjà grandement présenté dans un post précédent) s’exprime aussi dans le dessin répétitif de Tomié qui finit toujours assassinée et découpée.
Vraiment l’un des must du genre kowai manga, disponible comme Spirale dans une édition de toute beauté.
Mais méfiez-vous de ce qui attire le regard, vous pourriez bien finir au fond d’un trou…
Panorama de l’Enfer Pour clore en apothéose ce dossier consacré aux kowai manga, je ne pouvais qu’espérer tomber sur un condensé intelligent de toutes les sensations décrites précédemment : c’est chose faite avec Panorama de l’Enfer !
La personne qui vous guidera lors de notre voyage vers les profondeurs infernales se présente comme un peintre… un peintre obsédé par la couleur du sang. Pour assouvir sa passion, il n’hésite pas à créer des tableaux avec sa propre hémoglobine. Et il ne recule devant rien : lacérations, saignées… Notre homme va jusqu’à avaler de l’acide chlorhydrique afin de vomir des litres de sang nécessaires à son œuvre. On pourrait le croire fou, mais il semble être simplement adapté à l’endroit dans lequel il vit. Dehors, le bruit de la guillotine ne cesse ni la nuit, ni le jour. Tout comme les trains venant chercher les corps des exécutés. L’odeur de la graisse humaine brûlée vient envelopper le village qui vit tout entier dédié aux massacres des condamnés. Ainsi, l’épouse du peintre tient une auberge dans la grande rue où viennent chaque nuit prendre du bon temps, les zombies sans tête du cimetière municipal. Quant aux enfants de ce couple extraordinaire, ils s’amusent à disséquer, étudier et dessiner les cadavres d’animaux. Il faut bien dire qu’ils sont fans des manga d’Hideshi Hino (l’auteur de Panorama de l’Enfer…), alors pensez donc, la perversion a déjà gagné leur âme…
Et cela n’est pas mieux que le portrait de leurs ancêtres !
Le peintre emmène le lecteur visiter la galerie de ses aïeux, contant ainsi leurs histoires. Depuis plusieurs générations, les hommes de sa lignée ont tous été pervertis par l’alcool, s’adonnant aux jeux d’argent et à la violence conjugale. Cela tiendrait presque de la malédiction tant l’histoire se répète pour chaque nouvel enfant. Seul notre étrange narrateur semble y avoir échappé. Le sexe, l’argent, l’alcool, rien de cela ne l’intéresse, la seule chose pour laquelle il se passionne reste le sang et la mort. Son amour pour l’Enfer est si fort qu’il fait naître en lui un étrange pouvoir…
Derrière son aspect de conte macabre, renforcé par le trait naïf de Hideshi Hino, Panorama de l’Enfer propose au lecteur une véritable critique de la société. Seconde Guerre Mondiale, Hiroshima, violence sociale, exode, vengeance… l’Enfer dans lequel vit actuellement le peintre perdrait presque de son honneur comparé à la cruelle réalité. L’auteur s’identifie même à son personnage, puisque tout comme lui, il vit le jour en 1946 en Mandchourie, depuis reprise par la Chine. D’après ses propres dires, l’intérêt qu’il porterait sur les récits d’horreur lui proviendrait de ses souvenirs d’enfance et de la misère du japon de l’après-guerre.
Si sortir des sentiers battus ne vous effraie pas, n’hésitez pas à prendre le chemin des Enfers, il vous mènera droit chez votre libraire…au rayon manga.
Je vous conseille aussi de vous référer aux titres suivants pour en savoir plus sur le kowai manga :
Seinen :Inugami – Le Réveil du Dieu Chien
Gantz
La Femme Défigurée
Le Manoir de l’Horreur
Battle Royale
Parasite – Kiseiju
Le Manoir de l’Horreur
The Ring
Spirale
Redrum 327
Shôjo :Zabkoku na Dowa Tachi (Contes de fées cruels) par Kaori Yuki
Ludwig Kakumei (La Révolution de Ludwig) par Kaori Yuki
Kodomo no Ochama (Partner) par Obana Miho
Ichigen Kara no Tayori (Correspondances d’une autre dimension) par Watari Chie
Mamonotogari (Histoires monstrueuses) par Matsumoto Yôko
Petshop of Horrors par Matsuri Akino